Poupée Pauline, montage info-graphique imprimé sur papier transfert, 2007 |
Au mois de juillet, elle m'appelait en vacances pour me dire qu'elle avait trouvé un studio à proximité de l'école Boulle, me demandait mon accord pour le louer et aussi de nous porter garants son père et moi.
L'année scolaire dernière, je l'accompagnais à la gare tous les matins à sept heures, elle y prenait le train et j'allais l'y récupérer tous les soirs à dix-heuf heures. De retour à la maison, elle se mettait au travail, descendait dîner très tard et se couchait ensuite pour une courte nuit.
Je lui trouvais une mine triste et fatiguée mais je freinais ses envies de studio à Paris argumentant que c'était financièrement impossible.
Mais trois années d'internat avaient développé en elle un profond désir d'indépendance et de grandes capacités d'autonomie. Alors, elle s'est débrouillée. Elle s'est renseignée pour connaître les aides financières auxquelles elle pouvait prétendre, elle a consulté des annonces et a trouvé. J'ai été un peu mise devant le fait accompli mais "la jeune fille avec beaucoup d'aplomb" (décrite ainsi par le propriétaire) m'a bluffée !
A la mi-août, on faisait quelques achats pour équiper l'endroit, on louait une camionnette, on y chargeait quelques cartons, le canapé de sa chambre, des étagères et on prenait la direction de la capitale.
La semaine qui suivait, je fondais régulièrement en larmes, surtout en voiture et surtout quand j'écoutais Ennio Morricone ! Je repensais à ces presque dix-neuf années passées à la vitesse de la lumière. Je regrettais d'avoir dit un jour, alors que j'étais épuisée par une vie professionnelle intense et une vie ménagère et familiale qui prenait tout mon temps et dont je désespérais de pouvoir m'échapper un peu : " Vivement qu'elles aient vingt ans !".
Et bizarrement, c'est depuis qu'elle est partie, que ces dix-neuf années défilent dans ma tête avec détails et souvenirs intenses. Un peu comme si je les avais passées "la tête dans le guidon", sans vraiment prêter attention ni profiter parfois pleinement des petites choses simples mais que j'avais tout de même réussi à tout enregistrer.
Je suis bien plus capable maintenant que je ne l'étais il y a encore quelques semaines de décrire avec précision cette jeune fille que j'avais profondément désirée et dont j'avais choisi le prénom dès l'adolescence parce que j'aimais par dessus tout le titre du film d'Eric Rohmer, "Pauline à la plage". Je me rends compte de l'optimisme, de la joie de vivre et de la détermination dont elle est capable. Je la sais aussi très tolérante et bienveillante et je m'amuse désormais des tenues excentriques qu'elle porte. Les mêmes que celles qu'elle portait l'an passé mais qui m'amusaient beaucoup moins à cette époque ! Je regarde ses pieds avec tendresse. Elle qui ne connait pas Punky Brewster , porte toujours deux chaussettes différentes (l'une unie l'autre à pois ou à rayures) sur un collant coloré, est chaussée de derbys dorés ou orange ou vert pomme et associe ses vêtements sans vraiment chercher l'harmonie. Et c'est finalement joli !
Elle revient passer une nuit ici tous les dix ou quinze jours. Plutôt à ma demande...
Je l'aime, je l'admire, je suis fière d'elle.
Mais je sais les relations mère-fille fragiles pour avoir rompu un court temps avec ma mère à moi (court pour moi mais trop long et très douloureux pour elle). Je sais qu'il faut parfois de longues années pour trouver la bonne distance. Dans un documentaire, récemment passé sur Arte, Elisabeth Badinter disait que lorsque l'on est mère, on est toujours trop quelque chose : trop absente, trop présente...
Alors j'essaye de ne pas appeler trop souvent (bon, j'avoue, tous les deux jours quand même !) et de ne pas avoir trop peur du temps qu'il faudrait peut-être pour trouver la bonne distance.
Et il me reste encore une poupée ! Et quand celle-ci partira, pour verser moins de larmes, j'écouterai quelque chose de joyeux. Des propositions ?!
Poupée Louise, montage info-graphique sur papier transfert 2007 |
Livre photos réalisé pour Pauline à partir de photos prises au lycée entre 2008 et 2011 par elle-même ou les copines |